Chapitre 9
Marie dans les symboles de l’Ancien Testament
Quand nous lisons les chants liturgiques que nous ont laissés les Pères comme un trésor précieux, nous découvrons le visage de Marie. Elle est Théotokos, la Mère de Dieu en premier lieu. Nous lisons par exemple dans le « Beth gazo maronite », l’ensemble des chants de l’office :
O Vierge bienheureuse
O Vierge sainte
O Mère de Dieu
Que ton souvenir soit à jamais
Sur l’autel saint
Par tes prières et ta supplication,
La paix règnera dans l’oikoumené
Et l’Église est gardée
elle et ses enfants.
Elle est la mère, mais aussi la vierge, comme dans le chant :
Venez, vous les distingués,
Prenez plaisir aux tons de la gloire
Et du remerciement.
En ce jour, est mentionnée
Marie, la Mère de Dieu
Elle est vierge
Nul homme ne l’a connue.
Elle a conçu et enfanté
Le fruit qui donne la vie à tous
Les sceaux de sa virginité
Sont gardés.
Ils n’ont pas été altérés
Par la naissance de Jésus.
Gloire à celui qui brilla d’elle
Et qui a visité toutes les créatures.
Il a multiplié pour elle la béatitude
Comme il a honoré la terre
D’une extrémité à une autre.
Marie est aussi la nouvelle Ève. Par la main de la vierge, la malédiction a été déracinée, et Adam revint en Éden.
Pour cela, Adam jubile
Et Ève chante au jour de ton souvenir
O Vierge Mère de Dieu
Car de toi a brillé
Le fruit qu’ils ont mangé.
Cet arbre les a ramenés au paradis,
Qu’ils avaient perdu, conseillés par le
serpent.
* * *
Pour nous, nous regardons les symboles que nous trouvons dans l’Ancien Testament. Là, la liturgie et les textes patristiques ont découvert la grandeur de la Vierge Marie. Et nous commençons par citer quelques strophes de ce chant avant de développer ces symboles scripturaires.
Salut à toi, Arche d’Alliance
Que Moïse a faite
O montagne élevée
Qu’a vue Daniel
Salut à toi, ô char
Qu’a vu le prophète Ézéchiel
Salut à toi, ô siège
Qu’a vu Isaïe.
L’arche d’Alliance est décrite comme un coffre où l’on met tout ce qui est précieux et qui se rapporte à Dieu. Le livre de l’Exode parle de Moïse à qui le Seigneur a ordonné (Ex 25, 10-11):
10 Tu feras une arche en bois d’acacia
Longue de deux coudées et demie.
Large d’une coudée et demie,
Haute d’une coudée et demie.
11 Tu la plaqueras d’or pur
Tu la plaqueras au-dedans et au dehors
Et tu l’entoureras d’une monture en
or.
L’acacia est un des meilleurs bois. Et l’or ne sera pas d’une qualité inférieure. C’est la répétition plus d’une fois : or pur. Même les anneaux par lesquels on attachera l’arche seront en or. Et qu’est-ce qu’il y a dans cette arche, dans ce coffre que ne doit toucher aucun laïc et que les lévites seuls ont le droit de porter,les tables de la Loi. Elles résument la parole de Dieu. Et Marie porte dans son sein, la Parole, le Verbe, selon le début de l’évangile de Jean :
1, 1 Au commencement était le Verbe
Le Verbe était auprès de Dieu
Et le Verbe était Dieu.
Et nous écoutons le chant :
O Marie, tu es le bâton d’Aaron
Le buisson de Moïse, le pot de manne
Et l’Arche d’Alliance…
Et dans un autre chant :
Viens en paix, viens en paix
Ô tables reçues par le prophète Moïse.
Dans l’Arche d’Alliance, il y a les deux tables. Mais il a aussi le bâton d’Aaron. Il est dit en effet dans le livre des Nombres, lorsque certains mirent en cause le sacerdoce d’Aaron, que Moïse demanda qu’un bâton soit déposé dans la Tente de rencontre, par le chef de chacun des douze tribus (Nb 17, 21-23).
21 Le bâton d’Aaron
Était au milieu des autres.
22 Moïse déposa les bâtons
Devant le Seigneur.
23 Le lendemain, Moïse entra dans la Tente
Il vit que le bâton d’Aaron
Avait bourgeonné ;
Il avait fait surgir
un bourgeon
Éclore une fleur,
Et mûrir des amandes.
Un bâton sec! Il bourgeonne! Cela est impossible. Mais pour Dieu tout est possible. De même Marie aura Jésus comme fruit dans son sein
Dans la loi et les prophètes,
Il fut dessiné un typos
Par Moïse la tête des prophètes,
À la Mère bénie.
Pour cette Arche (qui contient) les lois
Par le pot de la manne
Par le bâton d’Aaron qui bourgeonna
À l’intérieur du Saint des Saints.
Et par la nouvelle jarre d’Élisée
Et par la toison et la rosée de Gédéon
Et par les nuées
Dont a parlé Isaïe.
Ces chants liturgiques débordent le thème particulier pour embrasser la Bible toute entière. Moïse est là, mais aussi Aaron, Élisée, Isaïe. Et enfin Gédéon. Les Pères ont vu Marie dans la toison : elle est différente de tout ce qui est autour d’elle. S’il y a la rosée sur la terrasse, il n’y en a pas sur la toison. Et s’il y a la rosée sur la toison, pas de goutte d’eau sur la terrasse. Et nous lisons un autre chant avec un litanie analogue :
O Marie,
Tu es le bâton d’Aaron,
Le buisson de Moïse,
La jarre de la manne
Cette Arche d’Alliance
L’échelle qu’a vue
Jacob le juste au sommet de la montagne.
Nous retrouvons ici le buisson de Moïse et l’échelle de Jacob. Avec cette échelle sur laquelle montaient et descendaient les anges de Dieu, c’est une manière « apophatique » pour nous dire que Dieu vient chez Jacob. Dans le Nouveau Testament, Marie est cette échelle, sur elle Jésus est descendue pour être l’Emmanuel. Et par ce corps pris à Marie, il est remonté au ciel, comme cela est résumé dans un seul verset de l’Apocalypse : « Elle mit au monde (Lc 2, 7) un fils, un enfant mâle (Ps 7, 14). C’est lui qui doit paître toutes les nations avec une verge de fer (Ps 2, 9; Ap 2, 27). Et son enfant fut enlevé auprès de Dieu et de son trône » (Lc 24, 51). Et voilà encore une strophe dans la même ligne.
Le bâton d’Aaron le lévite
T’a dessinée ô Vierge (Marie)
Le chandelier, le pot de manne
Les tables descendues avec Moïse,
Tout cela c’est la vierge, la Mère de
Dieu.
Encore une image : Le chandelier à sept branches. Si le Christ est la lumière du monde, il faut bien un support pour cette lumière. Et comme nous sommes au niveau de la perfection, les sept branches du chandelier expriment la plénitude du Christ.
* * *
Il est temps d’arriver à la manne que nous avons rencontrée plus d’une fois. Et nous commençons par citer un texte d’Ephrem pris aux hymnes de la table
Frères, élevez la voix pour louer
A cause des bonnes choses
qui sont devant nous
Ne ressemblons pas aux Hébreux
Qui se plaignirent
à cause d’un pain appétissant.
Aux circoncis il a donné la manne
Ils ne furent pas étonnés de son fait.
Elle est une, elle a plusieurs goûts
Ils n’admirèrent pas ses caractéristiques.
Il nous a rassasiés, aussi louons-le
Comme celui qui a reçu les miettes.
Remercions-le pour son abondance
Rendons-lui gloire en abondance.
Que dit le texte biblique de la manne? Le peuple a faim, au désert. Il crie vers Moïse. Celui-ci s’adresse à Dieu. Et le Seigneur dit : «Du haut du ciel je vais faire pleuvoir du pain pour vous; le peuple sortira pour recueillir chaque jour la ration quotidienne » (Ex 16, 4). La manne est devenue dans l’évangile la nourriture du nouveau peuple de Dieu. L’Eucharistie, le corps du Seigneur, selon la lecture de l’évangile de Jean (ch, 6), Jésus dit :
35 C’est moi qui suis le pain de vie
Celui qui vient à moi
N’aura pas faim
Celui qui croit en moi
N’aura jamais soif.
51 Je suis le pain vivant
Qui descend du ciel
Celui qui mangera de ce pain
Vivra pour l’éternité.
Qui nous donne le corps du Seigneur? La Vierge Marie. C’est donc elle ce « pot de manne » qui nourrit les fidèles. Cette jarre qui était placé dans l’Arche d’Alliance. Elle est le symbole de la Providence divine qui ne cesse de s’occuper de son peuple.
La providence de vie
Qui est apparue pour vous sur la terre
C’est la Vierge, la mère de Dieu.
Celle qui a porté la grande richesse
Du trésor qui ne peut jamais être limité
Pour ceux qui sont dans le besoin
Afin qu’ils vivent de lui.
Le temple sublime
Le Saint des saints intérieurs
Le tabernacle que fit Moïse,
Le prophète fils de ‘Amran
La jarre où il y a la manne
Tout cela t’a peint
Ô fille de David
Toi la pleine de toutes les beautés.
Le temple représente la présence de Dieu au milieu de son peuple. Et cela selon la prière de Salomon (1R 8, 12-13)
12 Le Seigneur a dit
Vouloir séjourner dans l’obscurité
13 C’est donc bien pour toi
Que j’ai bâti une maison,
Une demeure
où tu demeureras toujours.
Non seulement il s’agit du temple, mais du lieu le plus saint du Temple. Cela représente Marie en qui habite le Verbe. Enfin Marie est la jarre qui contient « le pain du ciel ». A ce sujet nous pouvons lire Saint Hilaire qui nous parle de la manne et des cailles (Ex 16) dans son Traité des mystères :
« N’est-il pas merveilleux que les événements de l’Ancien Testament contiennent déjà un tel poids de réalité qu’aucun désaccord ni de lieu, ni de temps, ni d’ordonnance ne les sépare de ceux qui plus tard furent accomplis par le Seigneur et trouvèrent en lui leur achèvement? C’est bien en lui que l’imitation qui l’a précédé atteint sa forme définitive et véritable; elle se présente comme une image anticipée du modèle qu’elle s’efforce de reproduire…
« Ainsi dans la chair des cailles et dans la manne substantielle ne trouvons-nous pas la figure – et combien parfaite – d’une réalité spirituelle. »
Nous n’oublions pas que le peuple hébreu était au désert quand il fut nourri par Dieu. Et le nouveau peuple est dans un autre désert plus spirituel, décrit par le Livre de l’Apocalypse : « Alors la femme s’enfuit au désert où Dieu lui a fait préparer une place pour qu’elle y soit nourrie… » (12, 6). D’une part, le peuple au désert n’est plus poursuivi par « Pharaon ». D’autre part, il ne risque pas la mort de faim. Quant à la femme, elle désigne en un sens Marie qui est avec ses enfants, comme elle était au Cénacle après l’ascension de son Fils au ciel (Ac 1, 14). Et nous poursuivons la lecture de saint Hilaire :
« Quant au sens figuratif de cette épreuve (du désert) concernant la manne, la suite va nous le donner. Comme c’est au matin qu’Israël trouve la manne, c’est avec l’aube de la résurrection du Seigneur que vient le temps de recevoir la nourriture envoyée du ciel. Elle est donnée en quantité égale à tout âge et à tout sexe. Certes voilà qui va contre la nature humaine : la même quantité de nourriture serait-elle nécessaire au petit enfant et à l’homme fait? Mais pour qui prête attention à la typologie spirituelle, il est tout à fait normal de distribuer également à tous la même nourriture céleste, car son efficacité ne peut être divisée en parties, je parle à des gens qui ont l’expérience de l’Eucharistie – personne n’est dans l’abondance, s’il en reçoit davantage, et personne dans le besoin s’il en reçoit moins, car tous sont également comblés par ce pain qu’on reçoit… ».
Ceci s’applique de manière spéciale à Marie : En elle était la manne. En elle était le corps de Jésus qu’elle a gardé en toute pureté, comme nous allons le dire tout de suite. Mais auparavant nous terminons le texte de saint Hilaire qui applique l’expérience de la manne au croyant : « Sous la figure du vase d’or, rempli de manne, qui fut placé devant Dieu et conservé pour les générations futures, il nous est signifié que sera précieux et éternel aux yeux de Dieu celui qui aura conservé dans son corps, comme dans un vase d’or, la manne par lui reçue, celui qui aura gardé en toute pureté la nourriture spirituelle à nous donner ».
* * *
Nous citons ici quelques textes qui parlent de la virginité de Marie, de sa sainteté
Venez, vous les distingués
Goûtez la douceur
Par les tons de gloire et de remerciement
En ce jour de la commémoration
De Marie la mère de Dieu.
Celle qui est Vierge
Celle qui ne connut pas (d’homme)
A conçu et enfanté
Le fruit qui vivifie tout.
Et les sceaux de sa virginité
sont gardés.
Elle ne fut pas corrompue
En lui donnant naissance
Gloire à celui qui brilla d’elle
Et a visité toute la création.
Il lui a honoré son nom
D’un bout de la terre à un autre.
Le texte se prolonge pour dire que les mystères des prophètes ont trouvé leur explication. Ils sont maintenant bien délimités dans l’Église croyante. Ces prophètes ont publié que le Christ allait venir. Le voilà qui est venu, a pris corps en elle; Il a lui, brillé, il a visité sa créature. S’Il a pris chair, c’est pour nous sauver des mains de la mort, pour nous élever au ciel, pour nous faire asseoir à la droite de son Père. Et alors nous proclamons
Gloire à ce Roi
Qui a choisi pour lui-même
le sein virginal
Et alors qu’il est sur le char
Il a habité dans la Toute-pure
Afin de sauver Adam et ses enfants.
Et le texte ramasse en une strophe toute une théologie à propos de Jésus et de sa Mère. Avec Marie, ce qui était caché est à présent manifeste. Ce qui était mystère pour l’humanité est devenu réalité. Ce qui était infini est maintenant délimité. Le Dieu tout puissant est devenu un nourrisson, et tout cela sans l’aide d’un homme. Marie est chaste. Marie est pure. Que peut demander celui qui est avant les siècles de plus belle « habitation »! Si nous la fêtons, Lui-même l’a fêtée avant nous. Si nous l’honorons, Il nous a devancés. Il ne nous reste plus qu’à lui demander de nous accompagner par sa prière.
Bienheureuse es-tu
Mère de chasteté
Ô Vierge et Mère de Dieu
Tu as enfanté tout en étant vierge
Le nourrisson
qui est plus vieux que les générations.
En lui les révélations
ont trouvé leur signification
Ainsi que tous les mystères.
Qu’ont dits les voyants (= les prophètes)
Pour Lui, elle (Marie) fut élevée
Sur les hauteurs
inaccessibles aux humains.
Gloire à Celui qui t’a choisi
Qui est devenu un nourrisson
dans ton sein
Qui a élevé et magnifié ton souvenir
Dans l’Église Sainte
Que ta prière nous soit une muraille.
Ce nourrisson, ce bébé qui était sur les chérubins a choisi un sein virginal. Quoi de plus petit, Il est venu chez les humains, chez une fille. Lui dont l’éternité est au-delà de toute limite s’est caché dans le sein de son humble servante. Celle-ci le porta, le promena, l’honora. C’est si facile pour elle du fait qu’il s’est abaissé, comme dit le chant paulinien dans l’épître aux Philippiens (2, 6-7) : « Lui qui est de condition divine… s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur (pour être au niveau de la « servante ») devenant semblable aux hommes (Marie est la fille d’un homme) et reconnu à son aspect comme homme (pour cela, le monde ne l’a pas reconnu, Jn 1, 10). Jésus ne fut pas accueilli par son peuple (v. 11). Va-t-on être surpris si certains chrétiens considèrent Marie comme une femme qui ne diffère pas des autres femmes. Elle était vierge en enfantant le Christ, mais après cela elle est redevenue une femme comme une autre. Elle a eu d’autres enfants qui sont les frères et les sœurs de Jésus. Oh, le blasphème! Ils s’appuient, comme ont fait les païens du temps de Jean Chrysostome, sur Mt 1, 25 avec la particule « jusqu’à ». Puis ils lisent les textes qui parlent des « frères » de Jésus et de ses sours (Mc 3, 32).
Pourtant, Élisabeth, remplie de l’Esprit-Saint lui dit : « Tu es bénie plus que toutes les femmes » (Lc 1, 42). Que signifie ce «plus »? Et l’ange lui avait dit qu’elle était : pleine de grâces ». y a-t-il une femme qui soit pleine de grâce? Y a-t-il un homme, même saint Joseph? Cette « banalisation » de Marie, croient-ils, a pour but d’élever le Christ. Drôle de logique. En abaissant la mère, est-ce le meilleur moyen d’élever le Fils? N’est-ce pas une boutade face aux grands honneurs que l’Église catholique et l’Église Orthodoxe portent à Marie?! Mais nos chants liturgiques n’ont que faire de ces « positions », bien que certains soient pris dans « leurs filets » et emportés avec ceux qui remettent en question la grandeur de Marie, la puissance de sa prière. Toute la force de Marie ne vient pas d’elle, mais de son Fils. Avez-vous vu un fils refuser quoi que ce soit à sa mère? La Bible nous parle de Salomon quand sa mère vint chez lui : « Bethsabée entra chez le roi Salomon pour lui parler au sujet d’Adonias (son frère). Le roi se leva à sa rencontre et se prosterna devant elle, puis il s’assit sur son trône et en fit placer un pour la mère du roi; elle s’assit à sa droite » (1R 2, 19). La place d’honneur. Ainsi fit Salomon. Que ne fera Jésus qui est plus grand que Salomon? (Mt 12, 42).
Marie est la mère de Dieu. Elle est restée toujours vierge. Malgré sa petitesse, elle tient dans ses bras l’enfant divin. Les Séraphins se couvrent les visages, les chérubins prennent peur. Quant à sa mère, elle le berce comme toutes les mamans. Quelle puissance plus grande que la puissance de la mère du « roi des rois, du Seigneur des Seigneurs » (1 Tm 1, 15; Ap 14, 12)
Bienheureuse es-tu
Ô Mère de Dieu
Tu as enfanté, tout en étant Vierge
Celui qui est auprès de son Père.
Et devant qui les Séraphins
et les chérubins tremblent
Celui que les cieux
Sont trop petits pour son honneur
Est promené sur tes bras.
Celui qui est le Seigneur
des anges et des hommes
Est entouré d’amour dans ton giron
Gloire à son humilité
Car Il s’est abaissé jusqu’à nous
Et comme Il s’est plus
dans le sein virginal
Il est descendu et y a habité
Pour sauver Adam et ses enfants.
Les anges, les purs, les éveillés (ils sont considérés comme ne dormant pas), les créatures de feu que sont les séraphins, et qui se cachent le visage pour ne pas regarder Dieu (Is 6), les chérubins qui ont seul le droit de porter le char divin (Ez 1), tous ceux-là avec l’humanité entière n’ont pas le droit d’approcher Dieu au risque de mourir. Comme dit la Bible (Ex 33, 20; Jg 13, 22).
Seule Marie a eu le droit de bercer « le Caché ». Alors « ceux d’en haut, ceux d’en bas » chantent la gloire du Verbe qui est dans le sein de sa mère. Ainsi Marie est devenue « un second ciel pour Dieu, et les paroles des prophètes se sont accomplies ».
Lui-même a honoré et magnifié
Ton souvenir
Dans les quatre parties de l’univers
Nous te supplions (toi, Marie)
Afin que tu lui demandes le pardon
Pour tous les pécheurs qui t’invoquent
Pour qu’il fasse habiter sa paix
Dans les quatre parties de l’univers.
Bienheureuse ta chasteté! Qui peut parler de la beauté de ta virginité, ou qui peut parler de ta beauté, ô vierge Marie. Le char des Chérubins s’est demandé : « Comment tu as pu porter le Seigneur de la création tout entière ». Les Séraphins aussi furent dans l’étonnement : Comment, tu n’as pas eu peur! Ce n’est plus Jérusalem, mais Nazareth qui est devenue le lieu du Temple. Là Marie était aussi, non à Jérusalem la Ville du grand Roi (Mt 5, 35). Oui, maintenant Nazareth est devenue « la Ville du Très-Haut ». L’ange Gabriel est venu en effet à cette petite bourgade inconnue, méprisée (Jn 1, 46). Mais Marie étant là, le petit village est devenu grand à tel point que l’évangile va relire la parole du prophète, non une lecture littérale, mais plénière : Avec le oui de Marie, tout est accompli
Tu vas concevoir sans mariage
Tu vas donner naissance
Au Fils admirable
À l’Emmanuel
À Dieu avec nous
* * *
Et nous revenons à la prophétie de Michée (5, 1) qui parle du lieu de la naissance de Jésus
Et toi, Bethléem Ephrata
Trop petite pour compter
Parmi les clans de Juda
De toi sortira pour moi
Celui qui doit gouverner Israël
Ses origines remontent à l’antiquité,
Aux jours d’autrefois.
Finie Jérusalem, la terrestre. Elle est assiégée, désespérée. Le roi n’y est plus. Il faut donc revenir au lieu d’où sortit David, pour chercher le nouveau David. Il faut aller à Bethléem. Le texte grec dit : « La maison d’Éphrata ». Cette bourgade est « trop petite ». Malgré cela, d’elle « sortira pour moi ». C’est le Seigneur qui parle. Sa cause est la cause de son peuple. Et le texte du prophète se poursuit en parlant de celui qui doit venir (5, 3)
Il se tiendra debout
Et fera paître son troupeau.
Par la puissance du Seigneur
Par la majesté du Nom du Seigneur
son Dieu.
Ils s’installeront, car il sera grand
Jusqu’aux confins de la terre.
Voilà le Messie à venir qui « verra et fera paître son troupeau » comme dit le Grec. Un mot d’espoir pour un peuple désespéré qui ne trouve pas de solution à la situation où il se trouve. Tout ce qu’attend le peuple, c’est un salut des mains d’Assour. Mais la lecture de Matthieu aura toute une autre portée:
Et toi, Bethléem, terre de Juda.
Elle n’est plus terre d’Ephrata, la femme de Caleb (1Ch 2, 19 après correction), mais la terre de Juda. Bien qu’Ephrata soit lié au verbe « fructifier », Bethléem est liée à un autre fruit, qui sort de Juda pour arriver à David. C’est là que nous lisons Éphrem dans les Hymnes sur la Nativité (Hymne I)
Ce jour, mon Seigneur a réjoui
Les rois, les prêtres et les prophètes
Car leurs paroles en ce jour
furent accomplies
Et devinrent toutes réalités.
La Vierge a mis au monde aujourd’hui
L’Emmanuel en Bethléem
La parole dite par Isaïe
S’est aujourd’hui réalisée.
Il est né en ce lieu,
Celui qui dans un livre
dénombre les peuples
Le psaume par David chanté
Aujourd’hui s’est accompli
La parole prononcée par Michée,
Est devenue aujourd’hui réalité.
Un berger sort d’Ephrata
Et son bâton guide les âmes.
7. Elle s’est manifestée,
la lumière royale,
À Ephrata, la ville royale.
La bénédiction prononcée par Jacob
Atteint aujourd’hui sa plénitude.
Voilà Bethléem, elle n’est pas trop petite; elle compte comme une grande ville parmi les clans de Juda. Car Matthieu dit en 2, 6
Tu n’es pas certes
Le plus petit des chefs lieu de Juda.
Le mot « moi » de la prophétie de Michée a disparu. Il est dit simplement : « Sortira le chef ». Voilà que la parole prophétique est accomplie. Et ce qui était promis est devenu réalité. Non seulement au niveau de Michée mais aussi au niveau d’Isaïe, sans compter ce qui arriva à Gédéon dont nous avons parlé
Bienheureuse es-tu Marie,
Les prophètes t’ont dessinée
dans leurs mystères
Par les paraboles, par les signes
Et par les comparaisons ils t’ont peinte
Gédéon t’a dessinée par la toison
Ézéchiel par la porte fermée
Quant à Isaïe il a crié clairement :
« Voici que le Vierge concevra
Elle donnera naissance
à un enfant admirable ».
En vérité, il est admirable
Car, comme nourrisson,
Il s’est manifesté dans la création.
* * *
Pour parler de la virginité, les Pères ont lu le livre d’Ezechiel avec le thème de la porte. En effet, le Temple fut brûlé par les armées ennemies, en 587. Mais il y aura un autre Temple dont la porte est fermée et restera fermée. Voilà ce qu’en dit le prophète :
44, 1 L’homme me ramena vers la porte extérieure du sanctuaire, celle qui part face à l’orient; elle était fermée.
2 Le Seigneur me dit : « Cette porte restera fermée; on ne l’ouvrira pas, personne n’entrera par là; car le Seigneur, le Dieu d’Israël, est entré par là, elle restera fermée.
Les Pères ont vu dans cette porte le sein de Marie; il était fermé et il restera fermé. Cela signifie dans notre langage théologique que la Mère de Dieu est vierge avant, pendant et après l’enfantement. Et nos icônes portent, en symboles, trois « étoiles » pour exprimer cette qualité de Marie à laquelle nulle femme n’a eu droit. Par cette porte fermée est entré le Verbe divin et il y a habité. Et avec la porte, le Cantique des cantiques chante le jardin fermé :
Là se trouve l’arbre de vie
et le fruit (Jésus) qui donne la vie.
La terre vierge avait mis au monde
Cet Adam, chef de la terre,
Aujourd’hui une Vierge
a mis au monde
L’Adam, chef du ciel.
Cette strophe lue dans l’hymne 1, 16 sur la Nativité, propose Jésus comme le nouvel Adam et Marie comme la nouvelle Ève. Nous reviendrons sur ce thème, mais nous voudrions rester dans la prophétie d’Ézéchiel. Celui-ci parle de char et de chérubins à maintes reprises, spécialement quand le Seigneur quitta le Temple (Ez 10, 1-4) et quand il y revint. Marie est ce char avec différentes nominations, comme elle est le Temple où réside le Seigneur
O Vierge! Tu fus le char
Qui porta et berça
Le Seigneur des créatures.
N’arrête pas tes demandes
En faveur de l’Église et de ses enfants
Qui honorent ton souvenir.
Marie est comparée à un char, et même le char s’est étonné en voyant la Vierge porter celui qui porte les créatures
Dans ta virginité
Gabriel fut dans l’étonnement
Ô Mère de Dieu
Il joignit les mains,
Il se mit à genoux devant toi
Il t’a saluée
Quand il vit son Seigneur habiter en toi
Et comme le char, tu as porté
Celui qui porte les créatures.
Il fut dans l’étonnement
Ce char
Il fut dans le désarroi
Quand il vit cette puissance
Qui est promenée
sur les ailes des séraphins,
Promenée au-dessus d’elle
Et voilà que cette Puissance
est serrée à ton cœur
(Ô Marie) Stupéfaction
pour ceux qui contemplent.
Quel char porterait le feu s’il n’était feu, comme le char où vint Dieu pour emporter Elie au Ciel (2R 2, 11). Mais Marie est présentée comme « un char » avec « les ailes de feu ». Ne nous trompons pas : Marie, la fille de David, trouva son image dans « le char des chérubins », car « elle a donné naissance au Fils de Dieu ». Ce char est le « cristal », et nous savons ce que valait le cristal dans les temps anciens : il avait la valeur de l’or. Mais ce char n’est pas matière inerte; c’est un corps humain, un corps de chair et de sang : Ce qui signifie que la Vierge a donné à Jésus sa chair et son sang. De plus ce « char charnel » est faible et pourtant il devint fort par la force de celui qu’elle porte.
* * *
Au-delà du temple terrestre, Marie est le Temple céleste, car là se trouve Dieu, se trouve le ciel. Nous avons déjà mentionné « le second ciel », avec la pensée byzantine qui dit que Marie est plus vaste (platytera) que le ciel. Le ciel n’a pu contenir le Verbe; mais le sein de Marie fut suffisant, car Il s’est fait petit.
Si je t’appelle un second ciel
Ô Vierge Marie,
Tu es plus
Car tu es sublime dans ta virginité
Vais-je t’appeler maman?
Mais ta virginité est là avec étonnement
Comme la source fermée
Dont a parlé Salomon (Ct 4, 2)
Si je t’appelle Vierge,
Mais tu donnes le lait nourricier
A celui qui par son ordre
Nourrit toutes les créatures.
Dans d’autres chants, un ensemble de qualificatifs se rejoignent. Après le « le char charnel », il y a la « chambre royale » construite par « un ingénieur sage » qui a placé les fondements de l’univers. A la fin, on parle du « second ciel » qui porta sur son sein « le géant grand et robuste ». Comme le Verbe a habité le premier ciel, le voilà maintenant qui habite « le second ciel ». Nous disons à Marie : « Salut, second ciel! » Et nous proclamons : « Le premier ciel était petit pour sa majesté. Pour cela Marie devint un second ciel». Et nous disons de même du « char ». Il était indigne du Seigneur, car il l’a porté « en symbole ». Mais « Marie, réellement et en vérité, l’a porté, l’a bercé, l’a honoré ». Et dans une autre strophe : Ézéchiel l’a vu. De même Daniel et Isaïe. Mais de loin, de manière vague, comme dans un miroir. Quant à la Vierge, elle L’a vu, L’a entendu, L’a touché de ses mains » (1Jn 1, 1)
Second ciel qui a pris la place du premier de sorte que le Verbe pourrait dire avec la Sagesse qu’il s’est plu d’être au milieu des hommes. Mais aussi ciel nouveau
Tous les justes et les vertueux
Tous les prophètes et les apôtres
Tous les maîtres
Et les docteurs de l’Esprit
Se sont réunis pour dessiner
La sublime beauté de la Sainte
De la Bénie
Mais ils n’ont pu dessiner.
Sa beauté est plus que le soleil
Sa beauté est plus élevée que le Char
Qui a quatre visages (Ez 1)
Et qu’Ézéchiel a vu.
Elle ressemble au ciel nouveau
Incrusté de luminaires
Alors que s’est levée d’elle
La lumière pour les créatures.
Deux images : le soleil, le char d’Ézéchiel. Marie les dépasse. Il en reste une qui peut lui-être comparée : le ciel nouveau. Nous rappelons que l’image du ciel nouveau se lit d’abord dans le livre d’Isaïe (65, 17). Le Seigneur dit :
En effet, voici que je vais créer
Des cieux nouveaux
Et une terre nouvelle
Cela en espérance. Avec Marie et Jésus en elle, ce ciel nouveau est là, et la terre nouvelle aussi. Pour cela, à la naissance de l’Enfant divin, les anges ont pu chanter : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre » (Lc 2, 14). « Qui a vu le ciel nouveau porter la puissance qui porte les créatures? » Et dans une autre hymne l’on dit : « Le nouveau ciel c’est Marie la fille de David ». Il n’est plus dans les hauteurs et partant inaccessibles pour les humains. Ce « ciel » est au milieu de la créature, comme le soleil est dans le ciel comme on disait; à présent « le soleil de justice » luit à partir de la vierge, il illumine les peuples, il les attire pour qu’ils confessent la Trinité sainte.
* * *
Les prophètes nous ont menés loin. Il nous reste à lire Isaïe, spécialement ce qui a rapport à la naissance de Jésus :
Qu’Isaïe, fils d’Amoçe
Soit dans la joie, dans l’allégresse
Au souvenir de la (Vierge) bénie
Car la réalité fut accomplie
Par l’Enfant qui est né saintement
De son sein
Voici que la Vierge
Est enceinte de l’Esprit-Saint,
A dit le prophète avant les temps
Elle enfantera un enfant admirable
Il aura pour nom Emmanuel,
Dieu avec nous en tout temps.
Deux textes isaïens sont lus ici. Le premier a pour titre « le signe de l’Emmanuel. Le roi Achaz attend l’héritier. Isaïe lui parle au nom du Seigneur et lui donne un signe (Is 7, 14).
Voici que la jeune fille est enceinte
Et elle lui donnera le nom d’Emmanuel.
Tel est le signe prochain; la jeune femme du roi est enceinte et va lui donner un héritier en la personne d’Ézéchias. Mais la traduction grecque de la Septante ne parle plus de « jeune fille », mais d’une « vierge » (parthénos). Si le Seigneur agit lui-même, il n’a pas besoin d’aide humaine. Si « l’Emmanuel » est au temps d’Achaz, c’est pour envoyer un secours matériel. Avec la Septante, nous sommes au niveau du surnaturel. Tout cela ouvre le chemin à l’évangile de Matthieu : Marie est la vierge, réellement. « Joseph ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle ait enfanté un fils auquel il donna le nom de Jésus » (1, 25). Ainsi est accomplie la parole du prophète:
Voici que la vierge concevra
Et enfantera un fils
Auquel on donnera le nom d’Emmanuel.
C’est cela que chante la liturgie, revenant à Isaïe plus qu’à Matthieu
Isaïe, fils d’amoç
Proclama et montra
Ta naissance
Ô Vierge pure
Tu as enfanté l’aigle,
L’ancien des jours
Tout en étant vierge,
tu as donné naissance
À l’Emmanuel, Dieu
Qui a sauvé les créatures.
Ce qui étonne, c’est que Marie est dans la prophétie d’Isaïe : il a vu d’avance, non la naissance du Fils, mais la naissance de la Vierge. A moins que le texte ne veuille dire : par la naissance que tu as opérée. Alors on aura dans la suite une répétition avec le verbe « donner naissance ».
Le second texte se lit sous le signe« d’un règne de paix » (Is 8, 23-9, 6) avec les noms qu’on donnera à l’enfant spécialement : Merveille. Mais l’on dit normalement « merveilleux ». Un autre nom aussi : le Dieu « fort », tel un héros. Quant à la merveille, c’est quand le grand, le puissant, est apparu aux humains comme un bébé, un nourrisson
L’Esprit Saint a chanté
Par la douce cithare
D’Isaïe fils d’amoç
Il a prophétisé à voix haute
Il a parlé ainsi
À propos de notre Sauveur:
Voici que la Vierge
Conçoit et donne naissance
A l’admirable, l’ineffable
Et le Sauveur des créatures.
C’est une occasion de proclamer la présence du Saint Esprit dans la voix des prophètes. De plus, celui qui est né est « l’Admirable ». Bien que nourrisson, il est au-delà de toute description humaine. Alors le poète intervient : Je suis dans l’étonnement. Cela est impossible d’un point de vue humain. Heureusement que le prophète nous a préparés à cet acte de foi.
En paraphrasant la parole isaïenne, le chant ajoute : « sans mariage » : La Vierge a conçu, elle a mis au monde sans mariage. Et l’on s’étonne : « A-t-on entendu dans la création qu’une autre vierge a donné naissance (à un enfant) sans mariage, hors Marie la fille de David qui a enfanté corporellement (litt. dans la chair) celui qui a fait les créatures ». Une autre fois le texte insiste sur la prophétie qui est accomplie, ou qui est dite par l’Esprit-Saint. Ailleurs Il est dit que cet enfant « vient de l’Esprit », comme si l’Esprit-Saint l’avait enfanté, insistant sur l’intervention divine qui dépasse tous les plans humains.
* * *
Après Michée, Ézéchiel et Isaïe, Moïse la tête des prophètes intervient pour nous « parler » de Marie dans le symbole du buisson ardent : C’est là un signe de la présence de Dieu à travers le feu. Et qu’est-ce qu’il allume? Non un cèdre, ni un chêne, mais le plus petit des arbustes, qui ne peut donner des fruits utiles. Élizabeth était stérile, mais Dieu a changé sa stérilité en fertilité. Mais Marie est Vierge. Et le feu du Seigneur va la rendre un « lieu » vénéré, tel le buisson devant lequel il fut demandé à Moïse de quitter ses souliers car là où il se tient, est un lieu saint.
Ce buisson qu’a vu Moïse
Et qui était en feu sans brûler
Est une image de toi
Ô Vierge sainte
Car en toi a habité le feu vivant
Qui est descendu des hauteurs
Sans être brûlée par les flammes
Qui brûlent les mondes.
Car de toi est né dans la chair
Celui qui est avec son Père
Et voilà que ton souvenir est charité
A l’intérieur des églises
et des monastères
Que ta prière soit pour nous
Une muraille et un refuge!
Dieu est un feu ardent, et pourtant Marie n’est pas brûlée, n’est pas morte du fait qu’il vint en elle. Au contraire, elle reçoit une vie nouvelle. Elle reçoit la Vie de celui qui s’est proclamé la résurrection et la vie (Jn 11, 25). En Marie se trouve « le feu vivant ». Et pourtant ce feu « brûle le monde ». Non Marie. A cause d’elle? Non, mais à cause de celui qui habite en elle et qui est uni à son Père tout en étant sur la terre. Et à la fin de chaque chant, nous demandons le secours de la Mère de Dieu, comme d’habitude : Dans les dangers elle est là.
Dans le même chant, le buisson vient en tête d’un ensemble de symboles, de comparaison (Marie est comme) qui essaient de nous présenter Marie. Sont-ils suffisants? Dans l’apocalypse la Jérusalem nouvelle est faite des pierres précieuses. Marie est « dessinée » avec des images prises à la Bible tout entière : L’arche d’alliance, la toison, la rosée, la porte fermée, la haute montagne, l’échelle, la shékinat ou l’habitation divine. Ces « objets » ne sont pas déposés ici, inertes. Ils sont portés par David et Moïse (pour l’Arche), par Gédéon (pour la toison et la rosée), par Ézéchiel, David, Jacob, Abraham. Tant de personnages de l’Ancien Testament y passent. Au début, c’est le verbe « dépeindre ». Dieu avait besoin de toutes ces couleurs pour nous dire à qui est comparée sa maman:
Moïse te dépeint par le buisson
David, ton père, par l’Arche
Et comme la toison
Qui reçut la rosée des hauteurs
Ézéchiel (te dépeint)
par la porte fermée
Par où est entré Dieu
David, par la haute montagne
Gédéon, par la toison
Jacob, le juste, par l’échelle,
Abraham par l’habitation glorieuse
Moïse par l’Arche d’or
Béni est Celui qui s’est levé de toi
Et a sauvé les créatures.
La liturgie revient à l’image du buisson, pour développer le thème du feu qui brûle le monde, mais que Marie prend entre ses mains. C’est le feu de la divinité, non un feu que nous voyons tous les jours. Marie seule pouvait le supporter par une grâce extraordinaire.
Moïse, le prophète, fils d’Amran
T’a dépeint par le buisson
Ô Fille de David.
Celui qu’il a vu sur le Mont Sinaï
Il était un feu
Et ne brûlait pas.
C’est un type de toi
Un feu vivant
Le feu de la divinité
Est descendu, a habité en toi
Sans préjudice
A cause de la force de ses flammes
Ce feu dévore le monde
Et toi tu prends entre tes bras
Ses flammes terribles,
Les flammes de ta divinité.
À cause de sa beauté, Marie a eu le droit de bercer le feu qu’a vu Moïse sur le Sinaï. Cette montagne a tremblé quand le Seigneur est venu sur elle; mais quand le Fils prit un corps il vint dans le sein virginal de Marie. Cette Vierge entonne les beaux chants à ce feu du « buisson »
À Celui que les Séraphins
Chantent Saint, saint, saint
En agitant leurs ailes.
Marie a porté sur ses genoux
Celui que porte le char
Aux roues vivantes (d’Ézéchiel)
Et le chœur de feu et d’Esprit.
L’image du feu nous amène à parler de celui qui est « Dieu de Dieu » comme nous disons dans le Credo. Mais ce Dieu a pris corps, est devenu homme, il a été dans le giron de Marie. Car ce feu était en même temps des gouttelettes d’eau rafraîchissante.
* * *
« De même que par un seul homme, le péché est entré dans le monde et par le péché la mort… Car si par la faute d’un seul la multitude a subi la mort, à plus forte raison la grâce de Dieu, grâce accordée en un seul homme, Jésus-Christ, s’est-elle répandue en abondance sur la multitude » (Rm 5, 12, 15). C’est la comparaison entre Adam et Jésus. Mais les Pères ont regardé vers Ève et Marie. Par Ève l’humanité a péché. Par Marie nous avons retrouvé la justice accordée par Dieu en Jésus-Christ. Ce n’est pas que Marie nous a sauvés! Ce n’est pas qu’elle soit la « médiatrice » en place de l’unique « Médiateur » Jésus-Christ. Mais c’est le principe de participation qui s’applique à tout chrétien et chrétienne, et partant à Marie. Ou plutôt à un degré supérieur. Jésus est le seul sauveur, mais il a laissé une place aux humains pour sauver avec lui. C’est dans ce sens que nous lisons la parole de Paul aux Colossiens : « Je trouve maintenant ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et ce qui manque aux détresses du christ, je l’achève en ma chair en faveur de son corps qui est l’Église » (Col 1, 24). Paul achève. Pierre aussi. Et surtout Marie. Ainsi s’explique sa présence au pied de la croix : Elle est là debout « intercessante » comme aux Noces de Cana (Jn 2, 1ss), et au Cénacle en attente de la Pentecôte.
* * *
Adam et Jésus. Ève et Marie.
Dès maintenant
Toutes les générations
qui sont sur la terre
Te proclament bienheureuse
Le ciel célèbre le récit (de ta vie)
Car Celui qui t’a créée
a habité dans ton sein
La terre te proclame bienheureuse
Car tu as porté
Son Seigneur et son Créateur
Que le ciel te dise bienheureuse
Car Celui qui a habité en lui
a habité en toi
Qu’Adam te proclame bienheureuse
Car pour toi il est revenu en Éden
Qu’Ève te proclame bienheureuse
Plus que tout autre
Car par toi a été déracinée
sa malédiction.
Le ciel et la terre, Adam et Ève. Ce premier jour de la création est dans la joie par Marie. Le ciel! Le sein de Marie lui ressemble, car le Verbe est dans l’un et dans l’autre. Adam a été chassé de manière malheureuse d’Éden, avec un chérubin qui garde la porte avec son épée terrible, Ève a reçu la malédiction du serpent, dont la conséquence est la souffrance. Tout cela est bien loin. Une créature nouvelle est née: Adam nouveau, Ève nouvelle. Finis les temps du péché et de la mort.
Un acte écrit en bonne et due forme menace l’humanité; un document rend la création tout entière tributaire du péché. Qui va annuler cet acte? Qui va agir comme si ce document n’avait pas existé? Jésus-Christ. Il est venu à nous par la Vierge Marie. Louons donc cette Mère qui nous a libérés par son Fils et nous a ouvert à nouveau la voie vers le paradis
Ce document
Qu’Ève notre mère a écrit
Et a introduit la mort
Dans les âges et les générations,
Le Fils qui est de la Vierge
Qui est né dans la sainteté
Au-dessus de la parole
À la fin des temps et des moments
Quand il fut élevé sur la croix
Il a effacé ce (document) et l’a déchiré
Et il a écrit par son sang
Une lettre pour (Ève) et pour ses enfants
Venez, louons-la
Au jour de son souvenir glorieux
Car par elle Il nous a ramenés
Au Paradis que nous avons perdu.
Avec l’Annonciation et le oui de Marie, « Ève peut se réjouir, être dans l’allégresse ». Pourquoi? Il n’y a plus de dette. Qui a payé la dette? Marie. Et l’acte écrit lors du péché? Il est effacé. C’est comme s’il n’avait jamais été là. Car Dieu ne se contente pas de raccommoder. Il crée du Nouveau. Marie ce n’est pas « Ève », la « femme » rapiécée. Marie est celle que l’humanité tout entière ne s’était pas attendu à ce qu’elle vienne. La toute pure dans un monde immonde; la toute sainte dans une humanité pécheresse; la glorieuse qui lève la tête dans un climat de victoire, alors qu’Ève s’était cachée avec Adam, car le regard de Dieu les remplissait de crainte.
Ève et Marie. Quelle différence! Ève était vierge comme Marie. Mais elle était inexpérimentée comme un bébé. Pour cela, elle va tomber rapidement. Quant à Marie, elle est la toute pure et elle restera pure, elle qui est toute belle.
Ève et Marie. Toutes deux ont reçu une « bonne nouvelle ». Ève a reçu « l’annonciation » de la part du serpent, le plus rusé des animaux de la terre, comme dit la Bible. Qu’apporte le serpent? La mort, «car le Satan, nous dit l’Écriture est un meurtrier, il cherche à faire mourir l’homme » (Jn 8, 44). Et l’Apocalypse assimile le serpent au diable. Nous lisons : « Il fut précipité, le grand dragon, l’antique serpent, celui qu’on nomme le diable et Satan, le séducteur du monde entier » (12, 9).
Ève a reçu Satan; par elle la mort est venue. Quant à Marie c’est l’ange, le messager de Dieu qui lui apporte l’annonce : la vie nouvelle. De plus, c’est l’image du vêtement : Ève (et Adam) est nue dans le jardin, après le péché. Elle a besoin d’un habit. Les feuilles de figuier ne durent pas longtemps (Gn 3, 7), alors Marie tissa à Ève un vêtement de gloire. Ève est vaincue, affaiblie. Comme elle a besoin de force!
La vierge inexpérimentée
Qui est venue d’Adam
A introduit la mort
Pour toutes les générations
Par l’annonce
que lui a apportée le serpent.
La Vierge Marie, la toute pure
A introduit dans l’univers
La vie nouvelle.
Par l’annonce
que lui a apportée l’ange.
Celle-là (Ève) s’est dépouillée
de sa gloire en Éden
Marie lui a tissé un vêtement glorieux
Et le lui a donné
Afin de couvrir sa nudité.
O Christ-Roi, par sa prière
Revêts-nous d’une force cachée
Pour magnifier votre Mère.
Avec Marie, Ève peut lever la tête et louer. Adam lui aussi peut glorifier. Car Dieu est descendu dans la Vierge, sans mariage, il a tissé un habit glorieux à Adam et à Ève. C’est tantôt Marie, c’est tantôt son fils, qui est Dieu et Fils de Dieu. En effet, il y a une différence entre fruit et fruit. Le fruit qu’a cueilli Ève fut porteur de mort. Mais le fruit né de Marie va tuer la mort et redonner à Adam la vie.
Adam remercie et loue
Ève chante la gloire.
Elle a péché en cueillant en Éden
Un fruit de mort pour qui le goûte.
Quant à Marie,
Par le fruit à qui elle a donné naissance,
Elle a tué la mort dans sa caverne,
Et par ce fruit, elle a procuré à Adam
La vie supérieure à la mort.
Adam a perdu sa place privilégiée; il la retrouve. Ève a laissé derrière elle les décombres à cause de Satan à qui elle a ouvert la porte. Voilà que tout est reconstruit. En effet, l’Ennemi avait bâti son fortin au milieu des enfants de Dieu. Le fortin est détruit et avec lui Satan qui l’a construit. Et pour terminer ce paragraphe, j’offre une litanie qui montre le changement qui a eu lieu par Marie et par son Fils
Telle est la seconde Ève
Parmi les morts elle a donné la vie.
Elle a relevé le premier Adam
De la chute (subie) au paradis.
Elle lui a tissé le vêtement de gloire
Au lieu du vêtement
dont il s’est dévêtu.
Celle-ci a payé la dette de sa maman
Et a écarté la malédiction
loin des femmes.
Par son Fils, elle a libéré Adam
De l’esclavage du malin.
La Vierge a payé la dette d’Ève
Elle a ramené Adam au Paradis.
* * *
Après Ève, les filles d’Ève. Nous les retrouvons dans la généalogie de Jésus-Christ (Mt 1, 1-17) : Thamar, Rahab, Ruth, la femme d’Urie ((Bethsabée).
Dans une fresque magnifique, Éphrem fait passer devant nous les personnages de l’Ancien Testament. Et tout cela à l’occasion de la naissance de l’Enfant. C’est la première des Hymnes sur la Nativité :
9. Aujourd’hui un enfant est né
On a proclamé son nom « Merveilleux »
Oui vraiment, c’est merveille que Dieu
Se soit montré comme un nourrisson.
10.L’Esprit l’avait comparé au ver
Dont la reproduction se fait sans union
Le type que l’Esprit Saint avait formé
A trouvé aujourd’hui sa signification.
11. Il a grandi devant lui
comme un surgeon,
Surgeon sur une terre assoiffée Ce qui avait été dit de manière cachée
A été dévoilé aujourd’hui.
12. Le Roi était caché en Juda
Thamar à ses reins l’a dérobé
Aujourd’hui l’éclatante beauté a brillé
Dont elle avait aimé la forme cachée.
Ceci nous ramène au livre de la Genèse (ch. 38). Juda de qui sortira David et partant le Fils de David, est allé chez les Cananéens. A la différence d’Isaac ou de Jacob qui sont revenus en Mésopotamie pour prendre femme. Il a trois fils : Er, Onon,Shéla. Sa femme s’appelait Shoua, ce sapin qui vient de Cilicie. L’aîné de Juda épousa Thamar, la datte. Mais il meurt sans lui donner d’enfant; le second épousa Thamar, selon la loi du Lévirat. Mais celui-là « joue » pour ne pas donner d’enfants à son frère. Ainsi il meurt sans progéniture. Alors Thamar va user d’un stratagème : elle va se lier à son beau-père Juda, qui est veuf. Elle tient à tout prix à avoir un enfant comme toute femme. Elle aura des jumeaux, et non un seul : Pèreç et Zérah qui sont nommés avec leur mère parmi les ancêtres de Jésus. Au point de vue féminin, la ligne passe d’Ève à Thamar.
Sévère d’Antioche, peignant l’acte de Thamar comme un adultère, se demande comment une telle « femme » a pu entrer dans la généalogie de Jésus : Il dit dans l’homélie 25 :
« Pour ce qui est de la généalogie, l’évangéliste a parlé de certaines personnes dont la conduite illicite n’était pas d’accord avec la Loi. Il s’est appliqué et a écrit de manière expresse : Juda engendra Pereç et Zerah de Thamar, que David le roi a engendré Salomon de la femme d’Urie. Ces deux (femmes) ont commis l’adultère et la prostitution. L’évangéliste fit cela pour révéler clairement que le Christ est venu pour guérir notre nature qui a perdu pied, est tombée, s’est immergée dans des désirs illicites… Telle est la nature que le Christ a voulu lui appartenir, nature qui s’est laissé prendre par l’adultère, pour la purifier; qui est tombée dans la maladie pour la guérir; qui a chuté pour la relever ».
Nature pécheresse. Elle se termine avec Marie qui n’a pas connu le péché dès qu’elle fut formée dans le sein de sa mère, Anne. Elle fut la pleine de grâce, ce qui signifie qu’il n’y a pas de place pour le mal, elle est comme un « vase » précieux, avec la beauté extérieure et la beauté intérieure.
Voilà une première colonne pour la construction d’un monde nouveau. Le véritable constructeur est le Seigneur. C’est lui qui prépare les pierres pour la construction de son édifices, en sachant que la femme symbolise le peuple, les Cananéens, ceux qui habitent à l’Ouest, font partie des ancêtres de Jésus.
Après Thamar, c’est Rahab, une vraie prostituée, dont la maison est accolée à la muraille. Elle reçoit les « étrangers ». Et même elle leur sauve la vie (Jos 2, 1-4), et se comporte comme une traître à l’égard de son pays. Éphrem met côte à côte Josué à côté de Rahab : tous deux « regardaient de loin » Jésus.
31 Josué, fils de Nun, attendit
Pour représenter
la puissance de son nom (Jésus)
Si, grâce à son nom,
il a été exalté à ce point
Combien plus le sera-t-il
par sa naissance!
32 Ce Josué qui cueillit encore
Et rapporta avec lui des fruits Attendit l’arbre de vie
Pour goûter de son fruit
qui donne à tous la vie
33 Rahab se tourna vers Lui.
Si le cordon écarlate (Jos 2, 18)
En symbole la sauva de la colère,
En symbole elle goûta la réalité.
Un auteur anonyme écrit : « Naasson engendra Salmon (Mt 1, 4). Salmon signifie : recevoir le vase. Salmon prit Rahab pour femme, bien qu’elle fût une prostituée de Jéricho. Elle a aimé les fils d’Israël… et il est vraisemblable dans ce cas que Salmon l’épousa, lui un des nobles d’Israël, et fils d’un des chefs de la tribu de Juda. Il lui a paru qu’elle a cru et s’est convertie au bien, et elle a obtenu grâce auprès de Dieu ».
Thamar, Rahab, Ruth. Trois femmes sont présentées dans un tableau unique par saint Éphrem (Hymne 9/7)
A cause de Toi des femmes coururent
Auprès des hommes. Thamar s’éprit
D’un veuf (Juda), et Ruth aima
Un vieillard (Booz). Rahab, elle aussi,
La preneuse d’hommes,
par Toi fut capturée.
Thamar fut la colonne cananéenne à l’Ouest. Ruth fut chez les Moabites, à l’Est. Rahab au Sud. Et en attendant le Nord avec la femme d’Urie, l’Hittite. Les quatre extrémités de la terre. Nous rappelons que le monde était représenté comme un terrain plat soutenu par quatre colonnes, dont l’une était la colonne d’Hercule qui est devenue aujourd’hui le détroit de Gibraltar. Au sommet ou au centre, c’est le Dieu unique qui soutient le « bâtiment ». Mais ici Dieu vient comme un homme par Marie, et celle-ci est alors au centre ou au faîte de la généalogie de Jésus. Car, arrivé à la fin, Matthieu change la direction. Ce n’est plus l’homme qui engendre, mais c’est la femme. Il est dit : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, que l’on appelle Christ » (Mt 1, 16)
Et nous voilà en compagnie de Ruth, la vraie compagne qui ne quittera pas sa belle-mère quoiqu’il arrive. Elle lui dit (Rt 1, 16-17)
Où tu iras j’irai
Et où tu passeras la nuit je passerai
Ton peuple sera mon peuple
Et ton dieu mon dieu.
Où tu mourras je mourrai
Et là je serai enterrée
Rupert de Deutz s’étonne : « Il est assez remarquable, en effet, que la continuité de la lignée du Christ (…) ait retrouvé vigueur grâce à la foi d’une étrangère… Voyant d’avance le mystère, le prophète Isaïe avait déclaré : ‘Envoie, Seigneur, l’Agneau souverain de la terre, depuis la roche du désert, jusqu’à la montagne de la fille de Sion’ (Is 16, 1, Vulgate). Il appelle ‘roche’ Ruth la Moabite, parce que sa foi a la fermeté du roc; et ‘roche du désert’, à cause du caractère désertique du pays de Moab : oui, Moab était réellement un désert puisqu’il n’avait pas le Seigneur demeurant en lui. Et ils ne l’avaient pas non plus, tous les autres peuples païens que, dans un autre endroit et pour la même raison, le prophète appelle également désert : ‘Que le désert et la terre aride se réjouissent! Que la solitude exalte!’ (Is 35, 1). Isaïe savait bien que le Christ devait naître de la descendance de David, fils de Jessé, fils d’Obed, cet Obed que Ruth, l’étrangère conçut de Booz… »
Et saint Ambroise de rechercher le sens symbolique de l’histoire de Ruth : « Comment se fait-il que Ruth, l’étrangère, ait épousé un juif? Et pourquoi l’Évangéliste a-t-il cru devoir mentionner, dans la généalogie du Christ (Mt 1, 5), cette union interdite par le texte même de la Loi? (Dt 7, 3). (…). De plus, Ruth n’était pas une étrangère quelconque, elle était Moabite; or la Loi de Moïse qui défendait les mariages avec les païens, excluait tout particulièrement les Moabites (Dt 23, 4). Comment donc Ruth est-elle entrée dans l’assemblée du Seigneur, sinon par une conduite saine et sans tache qui l’a placée au-dessus de la Loi? (…) Oui, vraiment, si Ruth a échappé aux interdits de la Loi, si elle est entrée dans l’Église (…), si elle a mérité d’être comptée parmi les aïeules du Seigneur, c’est en raison d’un choix divin, fondé non sur les liens du sang, mais sur une parenté spirituelle ».
Eusèbe de Césarée va dans la même ligne, pour parler de Ruth qui est « la figure de l’Église issue des nations païennes ». Il dit : « Pour nous tous, issus des nations païennes, c’est un grand modèle qui nous est proposé : en nous comportant comme cette femme, nous obtiendrons de Dieu une grâce analogue à la sienne. L’Évangéliste Matthieu a donc eu raison d’introduire cette femme dans la généalogie du Sauveur, pour annoncer l’appel et l’adoption des païens. En la nommant, il nous donne en quelque sorte un enseignement à nous qui sommes d’origine païenne. Si nous abandonnons les coutumes de nos pères, nous serons comblés, à juste titre, de biens conformes à ceux de Ruth : nous ne serons plus comptés parmi les étrangers, mais nous ferons parti du véritable peuple d’Israël, un peuple qui est l’héritage du Seigneur ».
Avons-nous remarqué? Quatre femmes qui entrent dans la généalogie du Christ, et aucune n’est du peuple de Dieu : Une cananéenne, une prostituée de Jéricho, une moabite, une hittite. Toute l’humanité est entrée dans la généalogie du Christ, « fils de David, fils d’Abraham » (Mt 1, 1). Aphraate l’évêque de la Perse compare cette lignée à une grappe de raisin :
« C’est par égard pour le ‘grain de bénédiction’ que la grappe ne fut pas livrée à la destruction… La grappe, c’est le peuple d’Israël, et la bénédiction préservée en elle, c’est le Roi Messie.
« Au commencement, le grain fut gardé en Adam, le premier-né de tous les hommes; même après son péché, la semence des saints se conserva en lui, et la bénédiction se maintint en lui…
« Abraham engendra Isaac… cette bénédiction se conserva en Juda, le fils de Jacob avant son entrée en Égypte. Juda engendra Pharès… et Salmon engendra Booz (1 Ch 2, 10-112)
« C’est de Booz qu’est issue la lignée royale, de Booz et de Ruth la Moabite. En effet, Booz prit pour femme Ruth la Moabite, afin que Loth devînt participant da la bénédiction des justes; car de la descendance de Ruth provient la souche de la maison de David; c’est de leur semence à tous deux qu’est né le Roi Messie.
« Dieu ne méprisa pas la condition d’étranger de Lot, le neveu d’Abraham, sorti autrefois d’Harrane avec lui. Pour avoir accueilli des étrangers à l’exemple de son oncle Abraham, il reçut de Dieu par l’intermédiaire de Ruth la Moabite, devenue la femme de Booz, une part de la bénédiction des justes ».
* * *
Quelle belle préparation! Ruth est comptée parmi les justes, elle a pu « sauver » son aïeul, Lot. Elle prépare de loin la Vierge Marie. Bethsabée, la femme d’Urie, a eu pour enfant un roi, Salomon. C’est un prélude lointain non à un royaume terrestre, mais au royaume céleste. Thamar a laissé son peuple pour participer à la « bénédiction » portée par la grappe. Peu importe sa vie passée, ce qui est important c’est le point de départ nouveau. Il est dit dans le Targum par la bouche de Juda : « Thamar, ma belle-fille est innocente… Loin d’elle de Thamar, ma belle-fille, d’avoir conçu des enfants de prostitution! » Et alors « une voix céleste sortit du ciel et dit : « Tous deux (Juda et Thamar) sont justifiés, la chose vient de devant Yahvé ». Quant à Rahab, elle est devenue le type du néophyte, du celui qui vient de se convertir en délaissant sa vie pécheresse, pour rejoindre la foi du peuple de Dieu.
Ainsi les aïeules de Marie ont commencé leur marche pour rejoindre le Christ. Le point de départ pour elles comme pour nous est un monde de péché. Mais l’humanité tout entière est en marche, et Marie les attend avec son Fils sur les bras pour Le présenter à ceux qui viennent à Lui. Ici nous reprenons l’hymne IX d’Éphrem sur la Nativité :
8 Thamar sortit,
et dans l’obscurité
Déroba la lumière;
et dans l’impureté
Déroba la chasteté;
et dans l’impudicité
Entra furtivement chez Toi,
ô Respectable
Qui fais des êtres chastes
avec les licencieux
9 Satan Le vit (à travers Juda) et, apeuré courut
Comme pour l’empêcher (à Thamar)
Il rappela la peine de mort
Mais elle ne craignait
ni la lapidation, ni l’épée
Elle n’avait pas peur.
Le maître de l’adultère
Voulait contrecarrer l’adultère
pour Te contrecarrer.
10 C’était chose sainte en effet
que l’adultère du Thamar
À cause de toi.
C’est de Toi qu’elle était assoiffée,
Fontaine pure. Juda l’empêcha
De te boire. La source altérée
A dérobé Ton breuvage à sa fontaine.
11 Elle devint veuve à cause de Toi
Elle t’a désiré, elle a couru
Elle est même devenue prostituée
A cause de Toi
Vers Toi elle soupira.
Elle se tint aux aguets sur le chemin
Et elle devint chaste.
C’est Toi qu’elle aimait.
12 Que Ruth reçoive
la bonne nouvelle
Elle qui rechercha Ta richesse
Moab entra chez elle
Que Thamar se réjouisse
De ce que son Seigneur soit venu
Elle dont le nom met en mémoire
Le Fils de Marie
Et dont le vocable même
était à son adresse
Un cri pour que Tu viennes à elle.
* * *
Et nous terminons par où nous avons commencé. Marie la toute Pure, la toute Belle, la Vierge, la Mère de Dieu. C’est ainsi que la liturgie la chante, c’est ainsi que nous la chanterons comme elle l’avait prophétisé : Toutes les générations me proclameront bienheureuse, car le Puissant a fait en moi de grandes choses. Je commencerai par prendre l’une ou l’autre hymne de cet immense recueil, le Beth-gazô. Dans la première :
Marie, Mère de Dieu
Elle qui est Vierge
Les mystères des prophètes
En la Mère de Dieu
Ont trouvé leur sens
Cette vierge Mère de Dieu
A donné naissance dans la virginité
Au nourrisson qui est plus ancien
Que les générations
Le Fils unique de Dieu
A délaissé le trône des chérubins
Pour choisir le sein virginal
D’une jeune fille des humains
Bienheureuse es-tu ô Mère de Dieu
Tu as donné naissance dans la virginité
Bienheureuse es-tu, ô Marie
Tu es devenue un second ciel
pour Dieu.
Et je cite une strophe complète :
Qui peut parler
De la gloire du Fils de Dieu.
Qui a choisi pour lui de la terre
une maman
Et de la fille de David, une mère
Dans les églises et les monastères,
Le voilà qui célèbre
son souvenir très beau
En cette fête,
les Éveillés sont dans la joie
En cette fête,
les Anges chantent au ciel
Le Dieu des célestes
Celui qui s’est abaissé,
par sa grâce, vers la terre
Qui est apparu de Marie pour le monde
Et voici que toutes les créatures
Psalmodient et glorifient
en souvenir d’elle.